Premiers pas ou presque. [PV]

Gabriel leva les yeux vers les bâtiments gris qui le fixaient de leurs fenêtres aveugles. La cour s'étirait paresseusement devant lui, comme un gros chat gris et hostile. Il n'y avait personne: il était arrivé très tôt. L'asphalte sombre semblait le menacer.

Oui, il était terrifié. C'était la première fois qu'il mettait les pieds dans une école, la première fois qu'il allait rencontrer des adolescents de son âge qui ne soient pas de sa famille, la première fois qu'il allait vraiment être confronté au monde. Le jeune garçon se recroquevilla instinctivement sur lui-même.
Il n'avait pas encore son uniforme: on lui avait dit que pour une première journée, ce n'était pas grave. Il devrait l'obtenir ce soir. Aussi, il était vêtu d'un pull bleu sombre trop grand pour sa silhouette fluette, et dont les manches ne laissaient voir que ses doigts. Son pantalon tenait à sa taille grâce aux efforts méritoires d'une ceinture en toile grise et usée. Il avait, vissée sur son crâne, sa sempiternelle casquette à la Gavroche qui laissait s'échapper des mèches rebelles de ses cheveux clairs, et une écharpe blanche était enroulée autour de son cou. Bref, il n'avait pas vraiment l'allure d'un garçon de son âge, il paraissait trois ans de moins. Ses yeux perlés allaient et venaient, égarés comme lui. En désespoir de cause, le petit taureau se réfugia près du seul arbre de la cour de récréation. L'enfant aimait beaucoup les arbres: sans doute son lui animal qui cherchait instinctivement un peu de nature.

Le vent glacial faisait danser son écharpe, flamme blanche abandonnée aux caprices du vent. Anxieux, Gabriel fixait la porte.
Lentement, des petits groupes d'élèves -deux, trois, cinq, dix- passaient la porte, regrettant visiblement de n'être pas resté dehors. Puis ce fut une marée grise, bruissante et mouvante qui s'amassa devant les portes: ceux qui, animé par un sentiment étrange, volent encore quelques secondes de liberté avant que la cloche ne sonnent.
Les yeux de l'enfant voletaient de visages en visages, la foule d'inconnus semblait tellement hostile...

Ses yeux se posèrent sur une jeune fille brune, jolie, exubérante. Il la fixa quelques secondes, mais lorsqu'elle se tourna vers lui, il sursauta, rivant son regard sur ses chaussures. L'avait-il vexée? Il espérait que non...
Trop voyant avec ses vêtements "de l'extérieur", Gabriel avait l'impression d'être la cible de tous les murmures, de tous les regards.
Le jeune garçon se ramassa sur lui-même, désirant disparaître...
Mais il n'aurait pas cette chance. La cloche sonna.

Suivant le flot moutonnant de ses camarades, il réussit par chance à trouver sa classe. Un commentaire désapprobateur de son professeur principal sur son absence d'uniforme le fit s'empourprer, l'enfant baissa les yeux. Peut être apitoyé, l'homme affirma que ce n'était pas grave, mais qu'il devait l'avoir demain impérativement. Gabriel opina du chef et s'assit illico à la place qu'on lui avait assignée.
Le cour se déroula lentement, le maudit regardait avec des yeux ronds le professeurs, et les élèves regardaient avec des yeux rond le maudit. Il était en effet surprenant de voir un adolescent aussi attentif, comme si chaque mot prononcé était une nouveauté incroyable. Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que pour Gabriel, c'était le cas.

Cloche. Son discordant qui vrille les tympans des élèves, désagréable, mais que toute la classe sembla ravie d'entendre. Un instant, le petit taureau paru perplexe. Un "Ben quoi, le nouveau, tu viens pas en récré?" le renseigna sur la teneur de cet étrange moment de pause. Récré. Il savait ce que c'était, du moins, en gros. Suivant les autres, il redescendit dans la cour et se réfugia derechef sous son arbre. Sauf qu'il y avait quelqu'un. Gabriel ouvrit des yeux ronds (encore) et battit en retraite, désolé d'avoir peut-être dérangé. Et quand il se rendit compte que la personne n'était autre que la jolie brune de tout à l'heure, sa désolation atteignit son summum. Le petit taureau recula vivement, trébucha sur une racine et se rattrapa de justesse. Il aurait aimé balbutier des excuses, mais aujourd'hui, avec le froid, sa gorge lui interdisait d'articuler grand chose...

Ashae leva les yeux vers le ciel inhabituellement coloré d’un blanc pur. Ca ne l’aurait pas étonnée qu’il se mette bientôt à tourbillonner de légères touffes cotonneuses voltigeant dans tous les sens. Ou qu’il neige, plus simplement. Elle aimait bien marcher ainsi le matin pour aller au collège. A part quand il pleuvait ou quand elle n’en avait pas envie évidemment. Mais aujourd’hui, elle n’aurait raté cette neige pour rien au monde. C’était tellement joli par terre et sur les arbres.

Décidemment cette journée promettait, d’autant plus qu’elle avait apprit par quelques uns de ses contacts dans l’administration l’arrivée d’un nouvel élève. Il ne serait pas dans sa classe lui avait on dit mais avait l’air d’être un cas au niveau psychologique.

-« Cet enfant m’a été décrit comme étant une personne extrêmement sensible mais avec un bon fond »

Le principal, un des nombreux adultes du collège dans sa poche, lui en avait parlé pendant des heures la veille en lui demandant d’aller le voir si elle pensait qu’il en avait besoin. Elle avait alors levé les yeux au ciel. Comme si ce n’était pas ce qu’elle comptait faire… mais plus pour satisfaire sa propre curiosité que par pure bonté d’âme (comme d’habitude d’ailleurs mais plus on se méprenait sur ses actions, plus elle passait pour être adorable alors c’était parfait).

Elle replaça une mèche sombre qui menaçait d’envahir son visage, poussée par le vent. Zut, il avait cessé de neiger c’était pas drôle quand même. Il faisait plus froid par contre et son manteau brun était humide mais elle se félicitait d’avoir mis des bottes pour marcher dans cette rue détrempée par le reste de neige…même si c’était par pur hasard qu’elle les avais attrapées ce matin. C’était son grand jeu en ce moment que de ne pas allumer sa chambre pour s’habiller. A condition d’avoir trié au préalable ses vêtements par couleur pour les assembler. Aujourd’hui c’était chocolat. On s’amuse comme on peut…

En arrivant au collège, elle vit…rien. Ashae cherchait des yeux un garçon entouré par les autres élèves, tout aussi curieux qu’elle de le voir. Or là c’était décevant, nul attroupement dans la cour, nulle personne se précipitait vers elle pour lui raconter les derniers ragots sur cet enfant. Cela lui paraissait pour le moins étrange. Elle se dirigea néanmoins vers des filles de sa classe et engagea la conversation. Apparemment, personne n’était au courant d’un nouveau venu potentiel. Ashae souffla. Il fallait décidément tout leur expliquer. Au moment où elle allait les en informer, elle ressenti une impression étrange. Elle se retourna vivement. Qui donc osait se permettre de la fixer ? Croisant un regard perlé inconnu elle comprit. Tant pis pour ces filles. Elle se préparait à aller saluer ce garçon, seul sous son arbre mais la cloche sonna, la surprenant. Quand elle se retourna une nouvelle fois, il avait baissé les yeux. Que c’était frustrant !

Ressassant encore cette occasion ratée, elle entra dans sa salle de cours. Elle aurait pu le faire sauter pour aller voir comment il se débrouillait mais après tout quel intérêt ? Résignée à suivre le sien, elle s’assit à sa place, au centre de la classe et de l’attention des autres. Si elle en avait souhaité une autre, elle n’aurait eu qu’à demander en souriant à un des garçons de la classe pour qu’il la lui cède. Cela marchait aussi pour les filles qui voyaient à travers elle une excellente façon de se faire bien voir. Mais là n’était plus exactement la question, le cours commençait, aussi ennuyeux et inutile que d’habitude de son point de vue.

Alors que le flot d’élèves se coulait promptement en dehors de la salle comme un troupeau de moutons crédules et bien dressés, elle rangea tranquillement ses affaires en regardant ce ciel étrange à travers la fenêtre. Décidée à aller voir ce garçon, elle se dirigea vers l’arbre au dessous duquel il se tenait un peu plus tôt. Elle remarqua une chose blanche par terre. Après une rapide inspection, cela se révélait être une écharpe. Ashae se retourna. Ah il était là.

-« Est-ce qu’elle est à toi ? Elle était par terre. »

Le nouveau avait l’air terrifié, prêt à disparaître dans un trou pour peu qu’il en trouve un. Décidemment, ce petit lui plaisait.

-« Ca va ? Je m’appelle Ashae. Et toi ? »

Elle avait failli lui dire qu’il avait l’air complètement paumé mais, en un sursaut de tact, elle se ravisa. Inutile de le traumatiser dès le premier jour non plus. Ashae lui tendit l’écharpe. Même si elle n’était pas à lui, il lui semblait qu’il en avait besoin.

Le souffle du petit taureau se condensait autour de son visage, l'auréolant d'une brume bleuté et blafarde. Ce qui n'arrangeait ni son air maladif, ni son allure séraphique. Comme bloqué, il détailla son interlocutrice.
Elle avait de long cheveux noirs qui retombaient en vaguelettes douces dans son dos, des yeux perçants d'un gris sombre et... un visage de ceux qu'on ne voit que dans les magasines. De ceux qu'il n'avait jamais vu que chez les Ansel.
Pourtant, elle n'était pas de sa famille. Bizarre.
Craignant d'avoir déclenché l'ire de la jeune femme, Gabriel eut un geste de recul lorsqu'elle tendit le bras... avant de s'aviser qu'elle lui tendait son écharpe. Ce ne fut qu'à cet instant qu'il remarqua l'avoir perdue...

- Est-ce qu’elle est à toi ? Elle était par terre.

Il sentit ses joues se colorer d'une rougeur gênante, mais se reprit vite. Souriant timidement à la jeune femme, il récupéra son bien qu'il enroula aussitôt autour de son cou, reprenant une allure très "petit prince" de Saint-Exupéry. Ce n'était pas sa faute s'il avait l'allure d'enfant comme on en voit que dans les contes.
Jugeant que la demoiselle en face de lui n'était pas un péril immédiat et était même plutôt gentille, Gabriel redevint normal, c'est à dire que son visage s'orna du sourire doux et agréable et franc qui était le sien, et qui mettait immédiatement son interlocuteur à l'aise.

- Ca va ? Je m’appelle Ashae. Et toi ?

Ah oui. C'était ça, son souci, dans les relations humaines. Les émotions passaient par les mots, et Gabriel ne pouvait les délivrer qu'au compte goutte. Et aujourd'hui, la température empirait les choses.

- Gabrie.. Gabriel An... sel..

Sa voix s'était brisée deux fois. Il eut un regard navré pour Ashae, et essaya d'expliquer la situation par gestes. Sa gorge, le ciel, la buée. Un sourire désolé, puis de nouveau sa gorge. Prit d'une impulsion subite, il attrapa le poignet de la demoiselle et la conduisit à quelques pas de là, dans un recoin de la cour, devant une baie vitrée qui ne donnaient que sur une salle de réunion actuellement désaffectée.
Ravi, il souffla sur le verre, son expiration chaude créant une vaste zone embuée. Du bout de son doigt, il écrivit rapidement:

Voilà, comme ça je peux parler.

Il se retourna pendant que les mots disparaissaient, éphémères, et constata qu'Ashae avait eu le temps de lire. sacrément plus pratique que les gestes.

Je m'appelle Gabriel. Je viens d'arriver.

Bien entendu, le petit taureau ne pouvait pas se douter, lui qui avait une vision du monde "extérieur" étrange et idéalisée, que la jeune fille savait déjà tout ça. Tout à coup, l'étourdit s'avisa qu'elle non plus n'avait pas d'uniforme. Elle était vêtue d'un ensemble chocolat, joli mais étrangement désordonné. Comme si elle avait voulu avoir l'air particulièrement décontracté, ce qui lui allait d'ailleurs très bien. Normal, en même temps: elle était de ce genre de personnes qui sont belles en toutes circonstances. Bien entendu, l'enfant ne se doutait pas du tout que c'était également son cas.
En tout cas, pour ne pas avoir d'uniforme, elle était soit nouvelle -et il savait que ce n'était pas le cas, quand il s'était inscrit on lui avait dit qu'il était le seul à arriver en cours d'année- soit surveillante. Pas professeur, trop jeune.
Les joues du taurillon s'ornèrent d'une jolie couleur rosée, il resta pétrifié. Il avait été si familier avec elle, l'entrainant à sa suite! Peut-être qu'elle était vexée?
Ashae, elle avait dit. Bizarre. Les surveillants donnent-ils leur prénom aux élèves, d'habitude? Une coutume locale, peut-être? Il inscrivit très vite:

Je suis désolé si je vous ai dérangé!

Ah mais... une seconde. C'est à quel âge, qu'on peut travailler, au japon? Il ne le savait pas, mais sûrement pas si jeune.

Euh... tu es une élève?

Il passait du tutoiement au vouvoiement de manière chaotique, car il n'avait jamais appris les règles de politesse (et encore moins les règles nippones!). Faisant tout à l'instinct, il lui arrivait souvent de gaffer, il espérait que cette fois-ci, ce n'était pas le cas...

Quelque chose de froid et d'humide vint soudain se poser sur son nez. Il cilla. Flocon. Flocon?
Lentement, la neige se mit à tomber, quelques flocons au début, puis de plus en plus fort, les enveloppant d'une bulle de silence agréable, percée de temps à autre par les cris suraigus des perdants des batailles de boules de neiges qui s'étaient organisées à la va-vite.
Ravi par la neige, l'enfant la regarda tomber un instant. Un petit toit les protégeait et ils étaient loin de l'agitation des autres. Prenant son courage à deux mains, il fixa la demoiselle de ses grands yeux gris.

Dis... Je peux te demander pourquoi tu n'as pas d'uniforme?

Incompréhension totale. Deux mots qui résumaient bien les pensées d’Ashae à cet instant. Pourquoi cet air horrifié lorsque, voulant lui donner l’écharpe, elle avait esquissé un geste vers lui ? Pourquoi encore cette lueur de peur dans les yeux ? Ce n’était pourtant pas un geste agressif –et elle en connaissait un rayon à ce sujet. Pour une fois qu’elle ressentait une envie sincère d’aider ou d’être agréable, elle passait pour une dangereuse psychopathe, c’était du moins ce qu’elle lisait dans le regard gris du garçon. Tant pis, elle prit seulement la peine de lui offrir un joli sourire quand il « osa » prendre l’écharpe. Expression qu’il lui rendit d’ailleurs avec les intérêts. A bien y regarder, il avait un je-ne-sais-quoi d’inhabituel. Mais elle passa sur ce détail, il y avait plus étrange : pourquoi ne répondait-il pas ? En lui communiquant son prénom par exemple. En général les gens y parviennent plutôt facilement non ? Elle était désolée mais pensait comprendre sa peur d’elle : il suffit de quelques contacts avec les autres pour déterminer son caractère disons…explosif et c’était sûrement le cas pour lui. Ashae reprit facilement son masque habituel de la jeune fille parfaite et insensible. Elle se préparait à tourner les talons et à le laisser là en plan pour aller voir ailleurs, jetant un dernier regard sur ce nouveau qui s’était finalement révélé être décevant quand elle entendit quelque chose.

- Gabrie.. Gabriel An... sel..

C’était plus un murmure rauque que vraiment des mots. A tel point que si Ashae n’avait pas eu une assez bonne ouie, elle se serait demandé si ce n’était pas simplement un jeu du vent avec des feuilles au dessus de leurs têtes. Le nouveau avait l’air tellement désolé que le masque fondit, révélant une fois de plus un étonnement le plus complet, avec en plus une nuance de pitié. Pas comme cette pitié hautaine qu’elle montrait d’habitude mais une vraie compassion, pure et authentique. Ca aussi c’était une grande nouveauté. Décidemment elle n’avait aucune prise sur ses émotions devant ce garçon. Elle étouffa quand même le mécontentement que cela pouvait engendrer pour laisser place à cette sensation inédite.

C’est alors qu’il fit quelque chose qu’Ashae n’avait pas imaginée. Il lui prit la main et l’emmena vers la vitre de la salle de réunion alors vide. Selon ses informations, celle ci ne se remplirait pas avant deux jours, à l’occasion des conseils de classes. Elle allait lui demander ce qu’il voulait savoir mais il ne lui en laissa guère le temps et souffla sur le verre. Il écrivit peu après avec un doigt qu’ils pouvaient parler ainsi. Ce qu’elle pouvait comprendre si il avait du mal à produire des sons, et donc des mots. Il en profita pour lui confirmer le prénom qu’elle avait entendu. Gabriel Ansel. Ashae trouvait la musicalité de l’ensemble agréable aussi elle sourit en le lisant.

- J’aime bien ton prénom Gabriel. Moi j’ai manqué à tout mes devoirs et ai oublié de te dire mon nom avec mon prénom alors tu y as droit une nouvelle fois désolée.


Puis, par pure envie de lui faire comprendre qu’elle se moquait de parler à voix haute comme à l’écrit, elle souffla elle aussi sur la vitre, créant la buée, puis traça ces mots.

Moi, c’est Ashae Sôma.

Elle se recula, le laissant lire. Les paroles qu’il écrivit ensuite lui tirèrent un bref rire. Ainsi il doutait de son statut de simple élève.

Oui, je suis une élève. Comme toi en principe d’ailleurs. De ce fait tu n’as pas à t’excuser, c’est moi qui t’ai fait peur en désirant faire ta connaissance.

Elle allait continuer d’écrire quand elle fut distraite par le cri de joie d’une des filles de sa classe.

-Il neige !!!

Ashae ne s’en était même pas rendu compte mais ce qu’elle tenait pour fini un peu plus tôt dans la matinée reprenait et il n’y avait pas à dire, elle adorait ce retour inattendu. Gabriel semblait l’être aussi. Pour une fois que quelqu’un avait l’air d’aimer la neige non pas uniquement pour aller s’en envoyer sur le visage.
Elle observa un flocon tombé dans sa paume, détaillant cette forme éphémère à la fois délicate et complexe. Le regard attiré par un geste, elle sortit de sa contemplation pour regarder ce que Gabriel avait écrit, laissant le flocon fondre dans sa main.

Dis... Je peux te demander pourquoi tu n'as pas d'uniforme?

Passablement agacée d’avoir gâché ses observations en détournant les yeux, elle lui répondit avec une pointe d’ironie dans la voix, prévoyant la réaction de son compagnon.

- Car finalement tu avais raison tout à l’heure, je ne suis pas exactement une élève normale.

Ashae attendit un peu, pour le laisser imaginer le pire. Elle avait remarqué que la moindre de ses paroles était interprétée de la plus mauvaise façon alors elle imaginait sans peine les conclusions qu’il pourrait tirer de cette déclaration. Puis, estimant le temps passé suffisant elle précisa ses propos.

- Je suis exempte de ce genre de règles car je connais bien le personnel de ce lycée. Sans pour autant en faire partie ne t’inquiète pas.


Ah et dis, où était tu avant d’arriver dans ce collège ? Tu viens de loin ?

Elle posait cette question par pure curiosité. Par plusieurs fois Ashae s’était divertie en écoutant les diverses histoires de déménagements et de changements de collèges les accompagnants.de certains élèves. Dans son cas, elle pensait plutôt à un changement normal du primaire au lycée mais au vu de son retard par rapport à l’avancement de l’année scolaire, elle en doutait.

Alors qu'elle avait eu l'air de se fermer un peu plut tôt, Ashae fit quelque chose qui ravit le garçon: elle se pencha en avant, souffla à son tour sur la vitre pour écrire.
Il y avait un je-ne-sais-quoi de poétique, de très doux dans ces images. Un dialogue silencieux qui se passait de sons, une vitre froide support d'émotions éphémères, et la neige qui étouffait les sons et les sens avec sa présence duveteuse. Le geste en lui-même était beau: se pencher, approcher ses lèvres du verre, souffler, écrire. C'était comme s'ils soufflaient leurs pensées. Leurs deux écritures, très différentes, se déployaient quelques secondes avant de se déliter. Des lettres italiques, à la fois élégantes et fougueuses, et des mots plus ronds, plus doux. Un contraste étrangement harmonieux.

La jeune Sôma avait l'air fascinée par la neige. Comme lui. Le petit taureau s'en voulut presque de briser sa contemplation, mais sa curiosité était irrépressible. Les yeux gris sombres de la demoiselle prirent soudain un éclat étrange.

- Car finalement tu avais raison tout à l’heure, je ne suis pas exactement une élève normale.

Les yeux de l'enfant s'agrandirent, il était fasciné. C'était si facile de le faire marcher... Pas une élève normale? Il savait qu'en Angleterre, il y avait des préfet, comme des "responsables". Peut-être que c'était son cas... Ou alors, c'était la fille du directeur. Ou alors, la propriétaire. Ou alors, elle était tellement forte qu'elle avait déjà son diplôme, ou bien...
Gabriel envisagea une myriades de possibilités toutes plus farfelues les unes que les autres, mais Ashae rompit le suspens.

- Je suis exempte de ce genre de règles car je connais bien le personnel de ce lycée. Sans pour autant en faire partie ne t’inquiète pas.

Le petit taureau la fixa un instant avec des yeux ronds, puis contre toute attente, éclata de rire. Enfin, éclata... C'est à dire que son visage était encore plus radieux qu'à l'ordinaire, et qu'une vibration parcouru son torse, comme quelqu'un qui pouffe. C'était étrange et un peu triste de le voir rire ainsi, comme si quelqu'un de mal intentionné avait coupé le son d'un très beau film. Mais la gaité du jeune garçon était contagieuse, le mal-aise se dissipait vite.

Tu as de la chance! Ça doit être difficile. Je ne m'attendais pas à ça!

Il était naïf, mais pas suffisamment pour ignorer le talent que nécessitait ce genre de relation. Dans sa famille, beaucoup étaient naturellement fascinant, et s'attiraient les bonnes grâces de tous sans être nécessairement gentil. Si lui n'avait jamais su faire ça, Gabriel n'était pas sensible à ce genre de charisme. Mais il appréciait beaucoup la jeune Sôma qui le faisait si bien marcher (en même temps l'exercice n'était pas difficile) il sentait qu'elle était gentille. Bizarrement, il se sentait en confiance, plus encore qu'à l'accoutumée.

Brusquement, elle lui demanda d'où il venait. Il aurait dû s'y attendre: généralement, les nouveaux en cours d'année le sont pour cause de déménagement.

Je n'habite pas très loin, avec mes cousins, dans la maison blanche au sud de la ville.

Gabriel était loin de savoir que le mystérieux manoir Ansel était connu comme le loup blanc. On voyait qu'il cherchait ses mots, qu'il cherchait comment expliquer sa situation. C'était difficile.

Avant... avant je ne pouvais pas aller à l'école. Quand j'étais petit. Il ne fallait pas que je sorte.

Il s'interrompit, penser et exprimer ses souvenirs de cette époque était difficile.

Après, quand je suis allé avec mes cousins, j'ai pris des cours par correspondance. Je n'avais pas le niveau, tu comprends? Et puis j'avais peur. Maintenant, je viendrai ici. C'est très différent de la correspondance.

De ces phrases obscures, il ressortait peu de choses, sinon que c'était la première fois qu'il mettait les pieds dans un établissement public, et surtout la première fois qu'il voyait et parlait avec quelqu'un qui ne soit pas de sa famille.
Gabriel perdit son air pensif pour revenir à la jeune demoiselle qui le lisait. Il espérait que ce n'était pas trop obscur pour elle, la pauvre.

Et toi? Tu es ici depuis longtemps? C'est bien? Est-ce que les gens sont gentils, comme toi?

Sa plus grande peur: que les gens le détestent. Ashae, elle, était vraiment agréable avec lui.

Que c’était étrange de le voir « rire » ! Ca lui semblait tellement particulier qu’à vrai dire, si Gabriel n’avait pas souri, elle aurait cru qu’il faisait une crise d’asthme ou s’étouffait en ayant inhalé une chose potentiellement dangereuse comme un flocon qui se serait traîtreusement mêlé à l’oxygène. Après coups toutefois, elle comprit finalement que non, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Alors, se détendant, elle rit aussi, partageant sa réaction.

Tu as de la chance! Ça doit être difficile. Je ne m'attendais pas à ça!

De la chance d’avoir toutes ces relations ? Pas réellement. C’était seulement devenu son jeu favori depuis qu’on l’avait obligée à aller dans ce collège. Ashae aimait bien user et abuser des autres pour accomplir ses quatre volontés –malheureusement elle n’en avait pas que quatre. Mais si utiliser ou manipuler quelqu’un était quelque chose d’amusant, rentrer dans ses bonnes grâces était encore plus intéressant. Les personnes plus « importantes » qu’elle en premier lieu puis ensuite, moins divertissantes mais plus nombreuses, celles à « écraser » ou au minimum à mettre dans sa poche. Ce qui était à peu près le cas de tous les élèves et de certains pions de ce collège. Ces derniers portant bien leur nom selon elle.

Puis elle écouta la réponse de Gabriel, lui décrivant une partie de son enfance dans laquelle il avait reçu une éducation solitaire. Trop à son goût apparement, ce qui pouvait ce comprendre mais pas exactement par elle qui avait toujours été élevée en tant qu’être absolument supérieur aux autres, ayant ainsi l’interdiction formelle de côtoyer cette plèbe misérable. Aujourd’hui, ces idées à force d’avoir été ressassées encore et encore dans son enfance, n’étaient pas totalement disparues. Ashae expira, créant ainsi un micro nuage de buée devant elle, redescendant sur terre par la même occasion. Le froid commençait à se faire vraiment ressentir. Elle désigna la salle de réunion inoccupée.

- Qu’est ce que tu dirais de passer de l’autre coté de la vitre ? Les portes ne sont pas verrouillées et comme on est ensemble, on ne serait pas en tort.

Elle se tourna, prête à partir puis se ravisa rapidement. Que faire une fois à l’intérieur ? Gabriel était bien gentil mais il n’avait pas non plus l’air d’avoir une conversation infinie et se connaissant, elle allait vite s’énerver de son manque de loquacité. D’ailleurs, rien qu’en y songeant… Non. Le pauvre, elle n’allait pas déjà lui montrer un excès de rage surtout alors qu’il n’aurait rien fait qui l’ai justifié. C’était à croire que Yue déteignait sur elle avec son fichu sens de la justice. Qu’est ce que ça peut casser l’ambiance quand même.

Mais après un regard dans la direction de l’Ansel, elle s’apaisa. Tant pis, lui aussi lui cassait toute possibilité de véhémence, il faudrait faire avec. Ashae s’aperçu ensuite de ce qu’il avait écrit.

Et toi? Tu es ici depuis longtemps? C'est bien? Est-ce que les gens sont gentils, comme toi?

Aie, il lui retournait la question. Par contre, même au vu de son caractère pour le moins naïf, elle ne comprenait pas comment il pouvait demander si la gentillesse était universelle. Encore moins avec elle comme exemple, là c’était tout de même poussé. Soit il se moquait d’elle implicitement, soit elle était réellement tombée sur un cas qu’elle n’aurait envisagé de croiser que dans certains films où le héros faisait preuve autant de bravoure par moments que de stupidité profonde. Mais là, guettant sûrement une réponse, il leva les yeux et leurs regards se croisèrent. Non elle ne rêvait pas, il était bel et bien sérieux, sincère, crédule.
Ashae se pencha vers la glace.

Tu sais quoi ? Je te raconte tout une fois à l’intérieur. Ca te vas ?

Et avisant les lèvres de Gabriel qui commençaient à prendre une légère teinte violacée voire bleue, Ashae se dit qu’elle faisait bien. D’autant plus que le problème de l’ennui était résolu : c’était elle qui parlerait. Rapidement, elle l’entraîna à sa suite vers une porte éloignée et un peu à gauche de l’abri sous lequel ils étaient. Ils débouchèrent sur le couloir qui donnait sur toutes les salles officiellement « sérieuses » du collège. Surprise par un élan de politesse (complètement superflu et inhabituel d’ailleurs) en passant devant la porte du bureau du principal, elle passa la tête par l’entrebâillement et déclara :

- Ah, bonjour, je voulais vous dire que mon ami Gabriel Ansel et moi allons dans la salle de réunion et que nous ne pourrons donc pas être présents en cours.

Ne pas oublier de préciser l’identité de son compagnon pour être sûre qu’il n’ait pas de problèmes ensuite pour avoir raté ses heures de classe et qu’il soit bien marqué en tant qu’« absent excusé ». Se retournant vers Gabriel, elle lui chuchota :

- Ca ne te dérange pas au moins ?

Puis le regarda, attendant un signe de tête

Elle semblait gênée par sa question sur la gentillesse des gens. Gabriel s'inquiétait: ils étaient si méchants que ça? Puis Ashae lui affirma qu'elle lui dirait tout à l'intérieur. C'était terrible! Ils étaient si affreux qu'elle voulait peut-être le dire loin des oreilles indiscrètes? Ou bien elle craignait de le voir s'enfuir, tant c'était atroce.
Comme à sa mauvaise habitude, le doux rêveur commençait à se faire des films, ou la pauvre Sôma se retrouvait invariablement dans le rôle d'un James Bond infiltré dans un repère de mafieux transformé en collège public, ou bien l'espion dans le nid de sorciers... Quand il commença à refaire Harry Potter, il se dit qu'il y avait peut-être un léger souci.

Mais l'enfant n'eut pas le loisir de réfléchir plus longtemps, car, de peur d'être traquée, Ashae fuyait déjà vers d'autres horizons. Ses grand yeux clairs agrandis par la surprise, ce qui arrivait fréquemment ici, le petit taureau lui emboita le pas. Elle marchait vite... Gabriel ne put s'empêcher de vérifier s'ils étaient suivis: apparemment non, mais il n'avait pas beaucoup d'expérience là-dedans...
Les couloirs défilaient vite, il n'avait pas le temps de se repérer. Pitié, ne lui demandez pas de retrouver la sortie tout seul... Mais c'était une aile du collège plus... cossu que celle où il y avait les salles de classes. Où était-il tombé?
Mais Ashae déjà passait la tête par l'entrebâillement de la porte d'un grand bureau, offrant à la vue de l'enfant un monsieur très chic en pleine discussion avec un autre monsieur très chic, lui affirmant que tous les deux allaient louper les cours.

Les yeux déjà ronds du taurillon passèrent en mode soucoupe, mais il était perdu! Son premier jour... et... oh, mon dieu. Le monsieur chic allait les incendier. Il ferma les yeux, crispé, attendant le choc...

...qui ne vint pas. Quoi, rien, pas de lynchage public? Non, juste en grand sourire indulgent et un geste détendu de la main, qui voulait dire "vous pouvez y aller, les enfants". Ashae était forte. Le jeune garçon remercia le directeur d'un regard, le genre de regard qui fait fondre n'importe qui (même si le petit taureau n'en avait pas la moindre idée).
Un peu inquiète peut-être, la jeune Sôma le regarda.

- Ca ne te dérange pas au moins ?

La surprise passée, le petit garçon sourit, et leva le pouce. Geste universel pour dire "c'est okay!" mais ça faisait bizarrement candide de sa part.
Et presto, ils repartirent, retraversèrent les couloirs avec leurs circonvolutions trompeuses, la cours avec ses zones glacées traîtres, et les attroupements d'élèves avec les boules de neiges qui volaient un peu partout. Décidément, le lieu était dangereux. Gabriel était sur ses gardes...
Ashae ouvrit la porte, il la précéda à l'intérieur, testa le moelleux d'un fauteuil, s'assit, et, ravit, se mit à tourner à toute vitesse. Il n'en avait pas des comme ça, chez lui.
Mais l'enfant sauta bien vite sur ses pieds, et fixa un instant Ashae, l'air inquiet, avant de souffler sur la vitre (de l'intérieur, cette fois).

C'est si terrible que ça? Ils font peur? Raconte-moi.

Durant la traversée des nombreux couloirs, Ashae réfléchissait à ce qu’elle allait bien pouvoir lui répondre. L’idée de lui expliquer par A+B qu’elle avait des parents martiens et qu’en réalité elle était une princesse exilée de sa planète d’origine était extrêmement tentante… Ou alors, lui faire croire qu’elle était une héroïne chargée de protéger le monde mais en vacances pour l’instant avec le principal lui servant de couverture… Le pire c’était qu’il la croirait. Oh oui il la croirait. Ashae avait toujours été assez douée pour mentir (c’est plus facile pour manipuler les gens après) et Gabriel étant d’un naturel… crédule, elle pouvait lui faire avaler n’importe quelle histoire hallucinante. Alors pourquoi s’en priver ? Là par contre elle bloquait. Il avait pourtant l’air de lui faire aveuglément confiance et d’un coté c’était encore plus drôle pour le rouler mais d’un autre, sans se l’expliquer, elle ne parvenait pas à lui mentir.

Arrivés dans la salle, Ashae fut surprise par la réaction de son compagnon. Se jeter sur une chaise en essayant d’imiter une toupie était très amusant mais ce n’est pas vraiment le genre de chose que quelqu’un de nouveau, timide et qui plus est terrifié par le moindre truc inhabituel ferai. Elle en conclu qu’il devait donc certainement être à l’aise.

C'est si terrible que ça? Ils font peur? Raconte-moi.


Gabriel venait de lui écrire un message sur la vitre. Ashae ne l’avait pas réellement suivi dans ses déplacements, trop occupée à regarder de quoi traitaient les papiers marqués « important » au niveau du fauteuil du principal. Par conséquent, il fallut qu’il vienne la prévenir pour qu’elle aille regarder de plus près. Après avoir lu ces mots, Ashae fit quelque chose qui ne lui était pas arrivé depuis assez longtemps: elle explosa de rire. Ce furent de longues minutes qui passèrent, entrecoupées le temps brèves respirations. Sans le savoir, Gabriel avait repoussé au loin les limites qu’elle se faisait de la naïveté. Elle ne disait rien sur le plan de l’intelligence, ne doutant pas de ses capacités, mais pour le reste… Celui là, il fallait vraiment qu’elle se le garde dans la catégorie « perles ».

- Non ne t’inquiète pas, je n’ai pas fuis un potentiel danger pour te communiquer des informations cruciales en sécurité. J’avais tout simplement froid.

La partie démoniaque de son ego était dépitée. Ashae avait brisé toute possibilité de mensonges alors qu’elle aurait pu infiniment plus s’amuser aux dépends de son interlocuteur. La petite bestiole rouge la suppliait au moins de lui faire croire au coté « agent secret infiltré dans le lycée » mais la jeune fille se montra intraitable.

- Et au niveau de ma vie, il n’y a pas grands chose à dire pour l’instant je pense si ce n’est que moi aussi j’ai eu droits aux cours particuliers et que j’ai découvert l’existence des collèges en tant qu’élève il n’y a pas très longtemps.

Qu’aurait elle pu dire de plus ? Que ses parents étaient morts et qu’elle vivait maintenant avec une asociale de première (qui était aussi une tutrice qu’elle aimait bien mais ça Ashae aurait refusé de l’avouer même sous la torture) ? Autant carrément enchaîner sur la malédiction Sôma donc ce résumé suffirait. Quant au reste, comment répondre à une question aussi évidente ? Réponse bête à l’interrogation du même acabit : par écrit.

Après, pour moi non tout le monde n’est pas gentil et encore moins autant que moi.

(Et oui que voulez vous on est Ashae ou on ne l’est pas)

Certains seront tes amis et d’autres pas ce qui paraît logique. Tu trouveras du meilleur comme du pire.


Elle jugea inutile de préciser à qui elle pensait en notant « meilleur » et se recula, laissant à Gabriel le soin de comprendre ces mots en espérant qu’il ne lui demande pas pourquoi elle avait décrit ses propos comme étant logiques. Il n’allait pas non plus pousser jusque là quand même.

- Non ne t’inquiète pas, je n’ai pas fuis un potentiel danger pour te communiquer des informations cruciales en sécurité. J’avais tout simplement froid. Et au niveau de ma vie, il n’y a pas grands chose à dire pour l’instant je pense si ce n’est que moi aussi j’ai eu droits aux cours particuliers et que j’ai découvert l’existence des collèges en tant qu’élève il n’y a pas très longtemps.

Gabriel hocha la tête avec gravité. Il comprenait la souffrance unique du cours particulier et de la correspondance maudite qui n'arrivait jamais le jour où on l'attendait. Les facteurs avaient l'étrange manie de vouloir toujours le mettre en retard pour ses examens.
Brusquement, il se sentait proche d'Ashae, comme si partager la souffrance du retard de courrier rapprochait les hommes entre eux. Le courrier est une philosophie. Compatissant, il lui tapota l'épaule avec une mine désolée.


Après, pour moi non tout le monde n’est pas gentil et encore moins autant que moi.

Normal, il aurait du s'y attendre. Il était dur de toute façon d'être aussi gentil que la jeune fille. Sauf Julian bien sûr, mais lui c'était son papa, donc c'était pas pareil. Il opina du chef avec un air entendu. Il avait compris.
Mais le petit garçon pensait qu'il pouvait désormais compter avec la protection d'Ashae, et peut-être même avec son amitié?


Certains seront tes amis et d’autres pas ce qui paraît logique. Tu trouveras du meilleur comme du pire.

Gabriel leva alors ses grands yeux gris vers elle, avec une expression étrange. Quelque chose entre l'espoir et l'appréhension, mâtiné de doute.
Il s'approcha timidement de la vitre et souffla dessus, avant de tracer doucement:

Et toi? Tu seras mon amie?

Il avait l'air franchement plein d'espoir, à un point étonnant, même. Il fallait dire que ce gamin n'avait jamais eu, en dehors de ses cousins, de relation avec qui que se soit. Sans le savoir, la jeune Sôma tenait l'avenir du petit Ansel entre ses jolies mains.
Il resta là, les bras ballants, le nez plongé dans sa grande écharpe blanche. Puis, comme soudainement conscient de sa témérité, il rougit, bafouilla un truc incompréhensible à cause de sa voix cassée et écrivit très vite:

Mais si tu veux pas... c'est normal, je suis pas très... enfin, c'est pas grave...

Tout en écrivant, le petit taureau lui lançait un regard tellement suppliant et désolé qu'il était très difficile de lui dire que non.

[désolé, pas inspiré >< mais je commençait à être sérieusement en retard, je ne pouvais pas te faire attendre plus...]

La Souris réprima un frisson quand la main de Gaby se posa sur son épaule. Mais heureusement, ce ne fut pas un petit rongeur qui prit forme mais plutôt une sensation…d’affection ? Ou sûrement un truc genre amitié ou quelque chose comme ça… Elle sourit. D’un étonnement cela ne la dérangeait pas et de deux, c’était assez amusant de le voir atteindre le haut de la jeune fille. Et oui, elle était encore la plus grande ! Comme ça faisait du bien de ne pas se sentir naine à longueur de journée. Non pas que cela lui arrive souvent bien sûr –Ashae aurait préféré se pendre plutôt que de l’avouer de toute façon- mais là c’était incontestable. Mégalomanie quand tu nous tient.

En revanche, le jeune garçon eut l’air horrifié lorsqu’elle lui révéla la grande vérité… à savoir que tout le monde n’est pas gentil sur Terre. Ou dans l’univers, de toute façon on n’en connaît pas alors on va se contenter de la planète bleue. Ceci dit, cela ne change rien à sa réaction. La jeune fille eut un regard exaspéré. Mais il avait vécu où Gaby pour ne pas s’en douter ? Sûrement sur une autre planète en fait oui.

Ashae suivi le jeune garçon jusqu’à la vitre. Elle avait une envie folle d’aller plonger dans un des fauteuils « de ministre » qui entouraient la table mais ce n’était pas raisonnable quand même. Si ? Toujours en est-il qu’ils s’approchèrent de la vitre. Ashae eut une pensée –presque- émue pour la femme de ménage qui découvrirait l’état des vitres mais songea surtout à la tête qu’elle ferait à vrai dire. Ca allait être désopilant. Elle reporta son attention sur l’objet du chantier.

Et toi? Tu seras mon amie?

Ah, oui, cette question était à prévoir. De toute manières, la Souris lui avait dit qu’elle faisait partie des « gentils » alors elle n’allait pas s’en dédire maintenant. Ashae plongea son regard sombre dans le gris perle du garçon, une gravité toute récente peinte sur le visage. Puis, comme on était dans le solennel et que les paroles écrites restent tandis que les mots s’en vont –pas sûre que ça marche dans ce cas précis mais tant pis- elle se tourna, elle aussi face au verre.

Le temps qu’elle prit et surtout la possible ambiguïté de son regard –interprété par Gaby donc…- le firent douter. Il attira l’attention de la Souris qui s’appliquait pourtant à ne rien en laisser voir et écrivit maladroitement.

Mais si tu veux pas... c'est normal, je suis pas très... enfin, c'est pas grave...

Zut, Ashae allait devoir changer de mot. Elle avait voulu écrire oui mais si elle le faisait, il allait encore croire à une agression personnelle. Soupir. Reprenant la gravité tout ça qu’elle avait voulu afficher tout à l’heure avant qu’il ne la coupe, la Souris traça deux lettres –au lieu de trois- dans l’humidité apparente de la buée. –Ils avaient bien fait de rentrer finalement si il faisait si froid dehors.-

Si

Puis elle lui sourit. Ca, ça allait suffire non ? Considérant que oui, Ashae se retourna…et dégluti –presque là encore. Ses yeux étaient restés accroché sur l’horloge, et plus précisément sur la grande aiguille. Ils avaient passé toute la fin de matinée à discuter et la pause de midi allait bientôt sonner. Personnellement, cela ne la gênait pas trop mais pour Gaby qui était nouveau… Et allez, elle allait encore s’inquiéter pour lui. Non mais qu’est ce qu’il faisait aux gens celui là hein ? La Souris, se reprenant, ne choisit pas de développer sa colère. Pour une fois, cela pouvait bien passer. Toujours fixant l’heure, Ashae parla à voix haute.

-Je pense que tu devrais y aller non ? Je t’ai déjà fait rater tes premiers cours alors je vais te laisser l’épisode de la cantine.

Affichant un sourire malicieux, elle l’emmena hors de la salle, repassa devant le bureau du principal –à qui il suffit de noter son passage- et le lâcha devant le réfectoire. Des masses d’élèves se convergeaient en bon petit troupeau vers la grande salle. Du coin de l’œil, a jeune fille repéra quelques filles intéressantes –appelez ça des amies si vous voulez- mais surtout ce qu’elle cherchait : des garçons du même âge que Gaby et qui paraissaient « sympathiques » : pas agressifs quoi. Ashae les désigna d’un signe de tête.

-Tu devrais aller voir de ce coté là, je pense que vous êtes dans la même classe.

Sur ce, elle le salua gentiment et se dirigea vers les filles qu’elle avait repéré, reprenant ses airs de reine en son palais. Ce qui n’est pas vraiment des plus faux d’ailleurs. Quand on tient lé tête pensante ou du moins dirigeante d’un lieu, on en est maître.

[de même ^^.]