Savignon est un indien huron rencontré par Champlain. /PV

Yukimura Sôma, pour oublier le fiasco personnel qu’avait été la réunion de Noël des Sôma, avait décidé de noyer sa pauvre vie qui allait de mal en pis – alors même qu’il pensait que c’était pas possible – dans le travail. Pour changer un peu, vous l’avez dit. Inutile de préciser que la méthode semblait moins bien marcher qu’avant, même si le poney avait vu ses notes monter en flèche et atteindre des sommets insoupçonnés, ça ne l’empêchait pas de penser à des tas de choses et autres, et il était somme toute parfaitement déconcentré et soucieux en ce moment.
Tout ça à cause d’une saleté de macaque et de ses imbéciles de clés qu’il avait parfaitement stupidement enfermées à l’intérieur de son appart, vous avouerez qu’il y avait largement de quoi l’avoir mauvaise. Le poney sortait de la magnifique bibliothèque universitaire de sa fac – du pôle scientifique, absolument –, son sac sur l’épaule et refermant son blouson court d’un geste sûr et sec. Il s’arrêta – en faisant attention à ce qu’il n’y ait personne derrière lui – pour attraper son paquet de cigarettes dans son sac, tout ceci afin d’achever un petit peu plus ses poumons déjà très sollicités par la pollution de la ville, et tira une bouffée de tabac avec une satisfaction non dissimulée. Son projet futur était de rentrer à pied chez lui, histoire de prendre un peu l’air – même s’il faisait franchement froid, encore, foutu hiver qui s’éternisait – et il resserra un peu son écharpe autour de son cou.
Ses pas le dirigèrent vers la sortie de la fac, alors qu’il se demandait vaguement ce que pouvait foutre son maudit cousin Akio, oui, le macaque lui-même. Il n’y avait qu’une seule fac ici, et comme il y était étudiant, il avait des chances de le croiser, dans l’absolu. Vu la foule qui traînait en permanence dans les bâtiments – les joies de l’université ça –, ce n’était pas très étonnant que les deux cousins ne se croisent jamais – Yukimura n’avait aucun souvenir de la vision du macaque quelque part. Peut-être qu’il ne venait plus en cours, aussi. Cette idée lui déplaisait sans qu’il ait trop envie de savoir pourquoi, et il jeta autour de lui un regard bleu-gris pour se changer les idées et observer le look des gens qui suivaient des cursus d’arts plastiques – quelque chose qui l’avait toujours subtilement amusé.
Il s’arrêta brusquement – trop, un garçon le percuta dans le dos – quand il vit justement le Akio en question quelques mètres plus loin. Inutile de faire l’innocent, le macaque l’avait vu aussi et il lança un regard oblique aux autres étudiants présents avant de s’avancer vers lui à pas calculés.

« Salut. »

Il n’a pas de meilleure entrée en matière disponible, fort malheureusement, les études de médecine ne comportant pas de mineure communication. Nerveusement, il tira une nouvelle bouffée sur sa cigarette, détaillant d’un regard en coin au final assez peu discret son cousin. Des fois qu’on l’ait changé en cours de route.

Encore une longue et fastidieuse journée à l’université, section ethnologie et autres sciences humaines.
Akio Sôma, maudit du singe, en avait enfin fini par ses cours pseudo éducatifs, qui finalement ne lui apportaient rien, sinon une occupation pour la journée. Il avait quitté la salle en griffonnant sur le dos de sa main le sujet du prochain devoir à rendre pour dans exactement treize jours, jetant son sac sur l’épaule et rabattant le col de son blouson sur sa nuque raidie. Il avait envie de rentrer. Cela faisait quelques temps maintenant que la réunion annuelle des Sôma avait eu lieu, que son choc émotionnel était passé, mais cela n’empêchait pas un malaise persistant d’avoir élu domicile dans son pauvre corps, avec de toute évidence la ferme intention de ne pas partir en voyage tout de suite. Akio avait revu son cousin depuis, plusieurs fois même, entre deux portes et un couloir à la fac, sans jamais attirer son attention ou croiser son regard, un peu comme deux personnes qui ne se connaissaient pas et qui de surcroît ne s’aimaient pas. Ca lui avait fait une drôle d’impression au creux de l’estomac la première fois, pas agréable du tout, bien loin de celle qu’il avait éprouvé durant la journée chez Yukimura, et il avait failli céder à plusieurs reprises à la tentation d’aller saluer son cousin. Sauf qu’à chaque fois qu’il se décidait, l’image de Yui s’imposait fermement à son esprit, et il finissait par tourner les talons, l’air penaud et encore plus mal qu’avant. En résumé, et même s’il ne voulait pas se l’avouer, il allait pas vraiment bien.
Il avait donc filé de son cours d’ethnologie, qui avait porté sur l’âge ingrat, quasiment en courant, bien décidé à quitter l’établissement avant que quelqu’un n’ait pu l’interpeller ou encore pire qu’il croise son poney, pardon son cousin. Sauf qu’évidemment, une fois n’est pas coutume, une greluche de son amphi l’avait hélé, hurlant avec désespoir des « Akiiiiiio faut que j’te parle », et il avait été contraint de s’arrêter au niveau de la grille pour expliquer que oui l’ethnologie était bien une science du contact mais que non il ne ferrait pas le devoir avec elle. Une fois la demoiselle vexée et enfuie, il avait relevé le regard, repoussant une des mèches sombres qui lui retombaient sur les yeux, pour découvrir évidemment Yukimura.
Soit, c’était une sale journée, il n’y pouvait plus rien, il allait rentrer chez lui le cœur tout serré, la moue boudeuse, et irait s’enfermer pour passer ses nerfs sur ses bouquins.
Sauf que ça c’était le programme de départ et que ça allait sûrement être remplacé par un suicide au champagne vu que le canasson avait décidé de mettre les voiles… directement sur lui. Le cœur accélérant désagréablement son rythme, le macaque laissa son cousin s’approcher de lui, lui adresser laconiquement la parole et le regarder d’un regard qu’il jugeait comme plutôt mauvais. Les lèvres d’Akio se plissèrent, un calme glacial l’envahit et il se frotta nerveusement la joue avant de relever le menton en direction de la foule universitaire. Pas très aimable le macaque.

« Qu’est-ce que j’ai fait encore ? »

Oui parce que dans le petit cerveau hyperactif de singe, si son cousin venait lui adresser la parole, c’était qu’il avait fait quelque chose et qu’on avait encore à lui reprocher. Comme quoi, il n’avait vraiment plus d’espoir concernant son couple… et Yui.

Yukimura en était arrivé à l’inspection des jambes de son cousin, appréciant le rendu que donnait son jeans dessus (« miam ! … euh non, calme, pas miam pas miam ») quand la question retentit, et il releva son regard, toujours bien planqué en coin vers Akio, impressionné par le ton froid. Il recula un peu – juste histoire de pouvoir esquiver un pain dans la gueule au cas où – et cala ses mains dans ses poches avec une moue ennuyée sur les lèvres, les yeux rivés au goudron de l’université. Il haussa nerveusement des épaules en se demandant ce que LUI avait bien pu faire pour déclencher une telle réaction, et en se disant que c’était râpé pour la conciliation à l’amicale et la tentative de dialogue. Journée de merde.

« Euh … Rien. T’as rien fait. »

Le « pourquoi, faudrait ? » qui menaçait de sortir – vu la gueule que tirait le macaque – resta coincé dans la gorge de Yukimura, qui décida d’observer le sac ultra-vieux de la nana, et s’amuser à évaluer son espérance de vie restante en minutes. Enfin, s’amuser, plutôt essayer de penser à autre qu’à l’expression de chien d’attaque élevé à la viande saignante qu’avait pris son cousin face à lui. Le poney se redressa un peu, passant une main contre la courroie de son sac pour la remettre sur son épaule :

« Bon euh, je … » Il s’arrêta de parler, prit une courte inspiration, et reprit plus calmement, et surtout dans l’ordre : « J’ai l’air de te déranger, je vais y aller. »

Il était venu voir son cousin le sabot mâle et conquérant (ou pas) en se disant des trucs ambitieux du style « on va discuter comme les adultes que nous sommes, et tout ça va être réglé » (ou alors il n’y avait que lui qui se sentait franchement mal, et là, ça devenait flippant). Toutes ses bonnes résolutions s’étaient cassées voir ailleurs dès qu’Akio avait sorti sa tronche de tueur avec la question polaire assortie – et Yukimura les comprenait, lui aussi il avait un peu peur.
Il salua son cousin d’un sobre mouvement de tête – trop effarouché pour risquer un petit sourire ou une quelconque autre fantaisie – et commença à amorcer un mouvement de départ qui ressemblait quand même terriblement à une fuite. Sauf qu’une demoiselle manifestement en histoire de l’art au vu de son look (et ne venez pas me dire que je fais des généralités, parce que SI c’est vrai, on peut répartir les gens par filière selon leurs looks) choisit ce moment-là pour s’emmêler les talons et vaciller franchement sur ses appuis. Le poney, par pur réflexe – il n’avait aucune envie de se transformer en canasson de quelques bonnes centaines de kilos en pleine fac – inversa rapidement son mouvement de fuite et pour éviter le contact de la nana – parce que ce coup-ci c’était sûr, elle était en train de tomber – sauta directement … Dans les bras d’Akio.
Oh comme ça tombe bien.
Bref, le poney avait un bras passé autour des épaules de son cousin, l’autre main posée sur sa taille, accrochée quelque part au jeans de monsieur, et sinon ben … Il était franchement collé contre lui. Il était sonné par le fait qu’il ait pu faire une chose aussi stupide que sauter dans les bras de son cousin alors que ce dernier paraissait lui en vouloir à mort pour une raison qui restait obscure (ou en tous cas, lui, il avait pas tout à fait compris).
Mais ç’avait été un réflexe. Il s’était senti en danger, donc avait sauté dans les bras d’Akio – et il n’avait aucune envie de réfléchir au pourquoi plus longtemps. Donc il se dégagea des bras du macaque, reculant, les pommettes subtilement colorées en rouge :

« Désolé, pardon. Je voulais pas … »

Parfaitement confus, il aida la jeune femme à se redresser et à rassembler ses affaires, le tout en évitant très soigneusement le regard d’Akio.

L’allure digne et mauvaise d’Akio n’avait franchement pas fait long feu. A vrai dire, dès que Yukimura avait bégayé un faible « Rien », le macaque avait été désamorcé pour se retrouver à son tour très embêté. Parce que son cousin avait fait le premier pas, il avait brisé le pseudo état glaciaire qui s’était instauré entre eux, et lui l’avait accueilli comme un gamin frustré de plus avoir son jouet depuis un moment. Un gamin à crocs en plus.
Toute moue boudeuse avait donc disparu de son visage, remplacée par un air tout à fait hésitant et torturé et quand Yukimura avait fait mine de s’en aller, il avait déjà pris la décision de le rattraper ( par la main, si vous voulez tout savoir ). Sauf qu’il n’eut pas le temps d’esquisser le moindre geste puisque ce fut son cousin qui lui sauta dans les bras, une main passée dans la ceinture de son jean, l’autre autour de ses épaules, son petit cœur palpitant à une vitesse folle. Akio avait bloqué sa respiration, tressaillant sous le contact imprévu du poney, remarquant seulement au bout de quelques secondes que le geste n’avait pas été volontaire mais plutôt un moyen de protection spontané. Son diaphragme se libéra, emplissant ses poumons d’un air vicié de tabac, et il jeta un coup d’œil presque reconnaissant à la fille qui s’était effondrée à leurs pieds. Son premier geste fut de raffermir sa prise sur son cousin, tout tremblant au contact de sa chaleur, mais Yukimura était de toute évidence toujours blessé par sa première agression puisqu’il se dégagea rapidement pour aider la fille.
Akio ne bougea pas immédiatement, son cerveau carburant à toute vitesse pour chercher le pourquoi du comment et surtout la façon dont il pouvait épancher la colère et l’attitude vexée du poney. Il le voyait à ses joues rougies sur sa peau étonnement blanche, mais cela ne le perturbait pas, trop conscient que finalement Yuki n’était pas si fâché que ça. Lorsque la fille en arts eut ramassé ses affaires, remercié avec ferveur le grand et noble canasson, Akio se mordilla les lèvres, attrapant doucement le poignet de son cousin pour éviter qu’il s’envole.

« Y’a pas de mal. »

Sa main droite glissa lentement du poignet du poney pour venir attraper ses doigts et Akio baissa les yeux, ne sachant vraiment comment s’y prendre.

« T’en va pas. S’il te plaît. »

Une nouvelle bouffée anxieuse d’oxygène, oui il était obligé de se forcer à respirer de crainte d’oublier, et il releva le regard sur la foule autour d’eux, notant qu’étrangement personne ne s’approchait d’eux. C’était d’autant mieux. Un petit sourire vint se peindre sur ses lèvres, d’abord adressé à une connaissance de son amphi, ensuite simplement destiné à la bête qu’il tenait encore entre ses mains. Il s’approcha légèrement, pivotant sur ses hanches pour se trouver face à Yukimura et son sourire s’effaça, balayé par la prise de conscience que maintenant il fallait dire quelque chose. Quelque chose qui convaincrait son cousin qu’il n’avait pas de raison de s’enfuir, et que surtout il… tenait ( que ce mot était dur à dire ) toujours à lui.

« Je… je ne voulais pas non plus. C’est juste que… on se parlait plus, j’avais l’impression que tu m’évitais et… Je suis désolé, voilà. »

Nouveau petit silence gêné et Akio songea qu’il devrait peut-être détacher ses doigts liés à ceux de son cousin. Sauf qu’il n’en avait vraiment pas envie.

Le poney était vraiment parti dans l’optique de fuir le plus vite possible, et le plus loin possible, avant de rentrer piteusement à l’écurie en maudissant tous les dieux dont il avait pu entendre parler pour que des trucs aussi foireux lui arrivent toujours à lui et à personne d’autre. Mais finalement, il ne put pas emboîter le pas à la fille d’histoire de l’art – prudent, il avait décidé de rester derrière elle –, puisque une main vint attraper la sienne. Il inclina le profil en entendant la demande du macaque, mais ne fit franchement pas de difficultés pour y céder, fixant sur lui un regard un peu échaudé, mais ni coléreux, ni vexé. Il était passé au delà de ça avec Akio, parce que toutes les souffrances éternelles qu’il aurait pu lui promettre n’auraient jamais pu combler les torts qu’il lui avait fait – non sérieux, lui courir après avec un carnet rouge ?
Avec sa parfaite expression de glaçon bien en place, il le regarda se mettre face à lui, attendant calmement la suite – en apparence, en réalité il tâchait de convaincre son cœur qu’il n’avait aucun besoin physique de cogner aussi vite. Avec une certaine dose de mauvaise foi, il mit ça sur le compte du presque contact avec l’étudiante en histoire de l’art, continuant de fixer son cousin à travers les mèches de cheveux brunes qui lui retombaient devant les yeux.
Et si on ne vit pas le sourire qui prit place sur ses lèvres quand le macaque s’excusa avec semble-t-il beaucoup de sincérité, c’était parce que le côté glaçon avait rendu le sourire parfaitement invisible, mais tout à fait présent. Une de ses mains fines balaya l’air comme effacer les mots un peu durs lancés par Akio précédemment, avant de venir repêcher la sangle de son sac qui se barrait de son épaule :

« Ça va, c’est pas grave. »

Il jeta un regard autour, apparemment absolument pas gêné par la main qui tenait la sienne, n’y ayant même pas jeté un coup d’œil gêné. Pour quelqu’un qui se préoccupait des apparences comme lui, ça relevait de l’exploit physique, ou de l’hypnose, tout dépendait. Son visage se tourna à nouveau vers celui de son cousin, toujours aussi désespérément neutre … Mais pas que.

« Tu veux qu’on aille à la cafèt’ ? Ce sera mieux pour discuter. »

Remontant une énième fois la courroie du sac sur son épaule, qu’il portait trop bas pour qu’il tienne sagement en place, le poney lâcha la main de son cousin pour se diriger vers la cafèt’ de leur université, allant demander deux cafés en se souvenant de ce qu’avaient fait les boissons maléfiques dans le bistrot à leurs pauvres cours. Il se demanda bêtement si Akio avait eu le temps de rattraper son travail en retard à cause de ces stupides cafés (enfin de la stupide fille qui était presque tombée et qui en avait vicieusement profité pour renverser leurs cafés sur leurs feuilles de cours). Une fois les deux cafés atterris sur un plateau, le poney les emmena précautionneusement jusqu’à une table où il déposa son chargement avec autant de délicatesse que s’il s’était s’agit de jerricans complets de nitroglycérine, la mine très concentrée.
Après ça, il s’assit enfin, face à son cousin, distribuant équitablement les tasses généreusement prêtées par l’université ; une pour lui, une pour Akio, ça paraissait franchement logique cette affaire. Et comme il était bien élevé, il pensa même à donner son café en premier au macaque (c’est que ça se faisait ce genre de choses). Puis se redressa vers son cousin :

« Je t’évitais pas. Mais quand je viens ici, je travaille beaucoup, et je fais gaffe à rien. Désolé. »

C’était déjà énorme pour lui, d’avoir dit tout ça, et même d’avoir laissé traîner quelques sous-entendus obscurs que lui-même n’aurait pas forcément su débrouiller. Akio n’avait certes pas touché un super cadeau avec le poney, mais ledit poney faisait de gros efforts, comme maintenant. Après cette déclaration, sans surprise aucune, il préféra planquer sa gêne dans sa tasse de café, même si le café était bien trop chaud pour être buvable.

Discuter. Il en avait de bonnes le poney. Akio inclina la tête l’air dubitatif quand son cousin lui proposa un demi-tour vers la cafétéria de la fac, cligna des yeux quand il parla d’avoir une conversation et finit par soupirer. Discuter, ben voyons.
Ils avaient tous deux réfléchi et sûrement longuement après la journée qu’ils avaient passé ensemble et où tout s’était barré, et ils en étaient arrivés chacun de leur côté à la même conclusion. Continuer relevait du suicide. Ils étaient cousins, éloignés certes, deux Sôma, le secret ne durait vraiment pas longtemps dans cette famille, proximité oblige, mais surtout deux hommes. Et ça, c’était vraiment pas génial. Akio n’avait aucun préjugé concernant l’homosexualité, lui-même y était déjà versé depuis un moment, au contraire Yukimura lui était plus attirant que bon nombre de demoiselles, mais dans une société aussi traditionaliste que celle des Sôma, ça ne passerait pas. Ils pouvaient toujours faire semblant, garder des distances de sécurité en présence de public, mais il finirait par y avoir un dérapage, une Namie rentrant chez elle un peu trop tôt, un facteur un peu trop zélé, une Rachel décidée à les espionner, sans parler de la pseudo culpabilité qui leur pèserait sur les épaules. Bref, la discussion n’avait aucun intérêt et ne mènerait surtout à rien. Ils avaient déjà tiré la conclusion qui s’imposait.
A la limite, ils auraient pu faire comme si rien ne s’était passé, continuer leurs études chacun de leur côté, Akio retrouvant en Yukimura un sujet remarquable d’étude, mais le macaque savait pertinemment qu’il n’arriverait jamais à se concentrer sur quelque chose d’autre que son cousin. En gros, c’était une impasse et une belle.
Il le suivit pourtant à l’intérieur de l’université, pas franchement désireux d’instaurer un nouveau conflit, et posa ses fesses sur un des bancs, laissant son cousin chercher de quoi faire illusion. Son regard resta posé sur Yukimura, descendant le long de son échine pour trouver ses hanches et Akio poussa un nouveau soupir, posant sa tête dans ses mains d’un air profondément désespéré. Le poney finit par retrouver le chemin du macaque, qui accepta d’un petit signe de tête son café. Faisant rouler entre ses doigts le gobelet brûlant, il évita le regard de son cousin, même quand celui-ci lui certifia qu’il ne l’évitait pas et qui de surcroît était désolé.

« J’imagine que c’est moi qui faisait trop gaffe à ce qui se passait autour de moi dans l’espoir de te trouver. A la base, la fac c’est bien fait pour travailler. »

Discuter. Oui d’accord, mais de quoi ? Ils étaient en plein établissement universitaire, ils étaient tout deux aussi gêné l’un que l’autre et ils avaient rien à dire. Ou plutôt si, mais tout ce qu’ils avaient à se dire était de l’ordre du tabou. Akio poussa son sac à côté de lui, jeta un coup d’œil agressif à une fille qui hurlait et frôlait l’hystérie pas très loin d’eux et il reporta son regard sur le café, toujours du café. Petite gorgée hésitante et énième soupir, et la tête toujours dans la main, il adressa un petit sourire embêté à Yukimura.

« Me regarde pas comme ça, j’te ferais pas boire. Bon, c’est quoi le sujet de la conversation ? Médecine ou ethno ? »

Après tout, autant faire dès maintenant comme si de rien était, comme si aucun désir ne venait entâcher leur discussion purement amicale, et puis peut-être qu'avec un peu de magie ça passerait. Sauf que vu l'air faussement distrait qu'avait employé Akio, nul ne pourrait s'y tromper.

Yukimura se contenta de noyer prudemment un « hunhun » prudent dans sa tasse de café, les yeux bleus-gris considérant son cousin par-dessus le rebord des fois qu’il ait l’idée saugrenue de lui sauter dessus pour vérifier si c’était bien lui après cette déclaration étonnante sur le fait qu’il le cherchait. Ca n’étonne absolument personne à part Yukimura, mais que voulez-vous, ça se saurait si le poney était plus attentif à son environnement, et s’il était doué question empathie … Non parce qu’autant bourriner sur des maths imbitables et finir major de sa promo, il savait faire, autant se mettre un peu à la place des gens qu’il côtoyait, fallait p’têt pas trop lui en demander, hein.
A son grand soulagement, son cousin macaque ne lui sauta pas au cou en hurlant « mon poney » ou quoi que ce soit d’autre de cet acabit, et il put rester lâchement planqué derrière sa tasse comme un veule poney qu’il était. Ses cils tremblèrent quand il entendit la question du sujet de discussion, parce que s’il manquait très sérieusement d’empathie, il avait parfaitement compris les non-dits d’Akio, cette fois-ci.
Lui aussi avait longuement réfléchi à la situation, et il avait beau la retourner dans tous les sens, il n’arrivait qu’à une conclusion qui ne lui plaisait pas du tout. Et c’était d’ailleurs étonnant, parce que Yukimura Sôma était censé être l’un des maudits parmi les plus raisonnables sinon le plus, et qu’il aurait habituellement tranché sans hésiter pour l’honneur de la famille ou autre connerie de ce type-là. Après tout, il avait toujours fait ça, suivre la voie que d’autres lui avaient montré – il ne faisait médecine que pour ça, n’ayant aucune affinité particulière avec ce métier et ces études. C’était juste parce que c’était … Utile.
Il haussa des épaules, détournant le regard sur la gauche, l’expression désagréablement vide.

« Je voulais pas parler de ça. »

Et il savait parfaitement qu’Akio non plus, et qu’il était bien au courant que le poney ne faisait pas allusion à des comptes-rendus de leurs études respectives en l’emmenant ici. Le maudit du cheval jeta un regard autour de lui, se rendant compte que la cafèt’ était presque vide – deux mecs qui parlaient à voix basse à cinq tables d’eux, et une fille qui travaillait sur son ordi sous écouteurs, quelque part en diagonale loin.
Il émit un bruit de gorge en reprenant une gorgée de café, puis coula un regard en coin pas très assuré à Akio.

« J’ai aucune envie de faire comme s’il s’était rien passé. »

Comme Yukimura tenait à sa réputation de prince des glaces, ses yeux ne laissaient pas transparaître ses émotions. Les yeux, miroirs de l’âme ? Que des conneries. Le poney ne savait tout simplement pas donner de l’expression à son regard, même en fronçant des sourcils il avait son air habituel ; blasé, absent, et aucune envie de revenir parmi les autres.
Y’en a qui avaient la chance (ou la malchance) d’avoir des yeux auxquels les gens pouvaient prêter toutes sortes d’émotions, pas le poney. C’était sans doute dû à la rectitude de l’angle de vision, parce que Yukimura regardait les gens un peu comme d’autres filaient des coups de fourche, franchement, et sans hésiter.
Il se redressa avec un soupir, appuya son front sur sa main droite, brisant le contact visuel avec le macaque. Il avait un tas de trucs à dire – que depuis le temps qu’il faisait ce que les anciens Sôma lui disaient de faire, ils pouvaient bien laisser passer ça, qu’il en avait marre de ne faire que ce qui était raisonnable, qu’il y arriverait pas – bref, vraiment une longue liste, le problème c’est que comme bien souvent, ça refusait d’être prononcé.
Impossible de faire passer les mots, vraiment. Il poussa un second soupir.

Akio se contenta de baisser le regard sur ses mains croisées et de faire semblant de croire très fort à l’impact sociétal du café, tentant de se convaincre que son cœur n’essayait pas de battre le record du monde de la fréquence cardiaque la plus rapide, et encore moins de le tuer. Il plissa les lèvres pour retenir le sourire amer qui voulait se pointer et garda les yeux rivés sur son jean, les oreilles bourdonnantes des dernières paroles du poney. Lui non plus n’avait pas envie de faire comme si de rien n’était, bien au contraire. Car même s’il avait un peu manipulé le canasson ce jour là, même s’il avait fait semblant d’oublier ses clés pour pouvoir passer un peu plus de temps avec lui, il n’avait rien calculé du tout. Yukimura lui avait toujours plu, d’abord à titre de sujet, il était intéressant et plutôt différent des autres maudits, il acceptait sans trop broncher d’être l’objet d’une attention constante, et puis il était plutôt intelligent. Akio savait bien qu’au bout de quelques semaines il n’allait plus seulement voir Yukimura pour étoffer sa thèse, mais parce qu’il se sentait bien avec lui. Il n’était pas pris d’une admiration sans bornes ou d’un amour fou qui ne pouvait se satisfaire de vivre loin de l’élu de son cœur, non c’était juste qu’il aimait bien Yukimura, qu’il le calmait et qu’il était super attirant. En gros, tout ça pour dire qu’il avait jamais prévu de coucher avec lui. Sauf que maintenant c’était fait et il avait aucune envie d’oublier.
Le macaque tapota distraitement sur sa tasse, faisant cogner ses ongles contre l’émail dans un petit bruit plus que désagréable et finit par mettre fin au silence, sans toutefois relever le regard.

« J’ai pas plus envie que toi d’oublier sauf que je suis pas sûr qu’on ait trop le choix. Ca passera jamais. »

Il releva un peu les yeux, regardant de biais son cousin et soupira à son tour. Il avait raison sur ce point, ça ne pourrait jamais passer, il suffirait qu’un seul des Sôma découvre leur relation pour que la troisième guerre mondiale débute, avec lapidation du poney et du macaque pour conclusion. Maintenant, s’ils continuaient comme ça, à se jeter des regards en douce et à faire la gueule quand l’autre était dans la même pièce, ça finirait quand même par se savoir, par simple déduction logique, et la guerre aurait quand même lieu. Akio était quasiment sûr que lors de la réunion de Noël certains l’avaient déjà vu, avaient remarqué les tressaillements du macaque quand le poney passait un peu trop près ou encore la gueule qu’avait tiré Yukimura durant toute la soirée. Akio poussa un nouveau soupir, se gratta nerveusement la joue et posa ses mains à plat sur la table, comme pris d’une soudaine inspiration.

« Tu sais comme moi que ça va virer au drame. Les Sôma n’accepteront jamais qu’on puisse avoir une relation autre qu’amicale voire fraternelle et ils finiront par nous laminer comme il faut. Mais le pire là dedans, c’est que j’en ai rien à faire. J’ai pas envie de passer des mois à me lamenter et à traîner une tête de suicidé juste pour leur pseudo éthique. »

Si le poney était un frigide prince des glaces qui ne fondait qu’après une bonne dose d’alcool, c’était pas forcément le cas d’Akio qui commençait sincèrement comment on ne pouvait pas voir l’amertume qui s’était installée sur ses traits et qui n’avait aucune envie de s’en aller. Lissant son visage comme pour effacer les rides de fatigue qui n’existaient pas, il avala une dernière gorgée de café, repoussant son verre sur le côté de la table. Il croisa ses jambes sous la table et les remonta contre sa poitrine, posant son menton sur ses genoux.

« Je te veux juste toi, je demande rien d’autre. C’est pas si… compliqué que ça. »

Akio ferma les yeux et baissa le visage, resserrant ses bras contre lui, les cheveux tombant en un rideau sombre sur ses pommettes. Sa voix avait dérapé, s’était éraillée, mais au point où il en était, il en avait vraiment plus rien à faire. Il fallait juste qu’il arrive à contrôler son petit cœur battant à lui en fracasser les cotes, rien de plus.

Dire des choses comme ça aux gens sans les prévenir avant (par une phrase du style « fais gaffe j’vais dire un truc super profond, voire franchement gênant »), c’était un coup à les buter d’une crise cardiaque, ou d’apoplexie, enfin un truc de ce style. Le poney écoutait attentivement son cousin, les yeux soigneusement rivés sur sa tasse pour ne pas avoir à affronter son regard, lèvres pincées pour tenter de masquer une grimace amère (avec peu de succès néanmoins). Et ses pommettes rougirent violemment quand la dernière phrase prononcée par Akio daigna être traitée par son petit cerveau agile (mais qui lui jouait des tours ces derniers temps pour se venger d’être sollicité pour des maths et autres matières assommantes).
Nerveusement, le regard bleu-gris de Yukimura fit le tour de la salle, des fois qu’un de leurs lointains voisins ait eu la sale idée d’écouter leur conversation pile à ce moment-là, et bien évidemment, personne n’avait bougé. Hormis la nana préposée à la vente de sandwichs qui le regardait un peu bizarrement, se disant sans doute que le macaque racontait avec force détails ses exploits sexuels à son prude cousin. (Si elle savait.) Le prince des glaces dont la réputation n’était pas tout à fait usurpée se reprit pourtant vite, appuyant son menton dans sa main, très concentré sur un touillage de café dans le sens des aiguilles d’une montre, fixant le liquide du regard avec une expression effrayante, un peu comme si son avenir était très intimement lié à ce café.

« Bon. Toi tu veux pas qu’on oublie, moi je veux pas non plus. »

Ça aidait d’être étudiant en médecine dans ce genre de situations, à force de résumer des énoncés d’exercices imbitables, ça devenait une habitude, et la situation paraissait franchement simplifiée comme ça. En outre, ça lui permettait de gagner du temps, et de se recomposer doucement une expression tout à fait normale pour lui (même la vendeuse de sandwichs finit par regarder ailleurs, ennuyée que la conversation des deux cousins soit moins mouvementée que prévu).
Le poney se redressa un peu sur sa chaise, appuyant plus franchement son dos contre le bois, lâchant sa petite cuillère pour laisser le café tournoyer indéfiniment dans sa tasse. Il soupira, grimaça presque douloureusement, son regard fuyant celui d’Akio, regardant à travers la baie vitrée les buissons de la fac.

« J’ai … J’ai toujours fait ce qu’ils m’ont dit. Je me suis jamais posé la question, je sais pas trop … Ils ne peuvent pas dire que je leur ai posé problème, c’est pas vrai, je les ai toujours écouté. »

Il ne savait pas trop quoi lui-même en penser. Mais c’était la stricte vérité : ce que les Sôma ordonnaient, Yukimura était le premier à exécuter, et en renâclant le moins de tous, parce qu’il était livré avec une sorte d’obéissance qui fonctionnait à tous les coups. Ses parents avaient jeté l’éponge il y avait longtemps, effrayés par la perspective d’avoir à assumer un fils maudit, et il s’était raccroché à ce qu’il avait pu.
Ça faisait une crise d’adolescence super tardive, vingt et un ans, mais le poney était pour la première fois sûr de ce qu’il voulait ; et il ne voulait pas être obligé de laisser tomber le macaque. Oui vraiment tardif.

« On pourra faire attention, c’est toujours jouable. Il faut juste s’organiser … Ils s’en douteront pas, on aura moins de chance de se faire choper. »

Et puis il haussa des épaules, dans le sublime élan du mec qui s’est jamais rebellé mais qui commence à avoir envie, attrapant sa tasse de café au passage pour en boire une gorgée, ne paraissant pas se rendre compte que le liquide était beaucoup trop chaud pour être consommé.

« Et puis s’ils nous chopent, eh bah ils le font. »

Alea jacta est, disait un grand homme.

« Hein ? Ah, oui. »

Akio était tellement concentré à éviter de virer pivoine, le tout en gardant le front plaqué contre ses genoux, qu’il en avait oublié d’écouter Yukimura. Il raccrocha tout de même à temps, légèrement déstabilisé par le résumé de son cousin (oui en ethno on simplifiait pas les choses, on virait même dans le pathos), et acquiesça de la tête sans trop savoir pourquoi. Ils tournaient en rond, ils en arrivaient à la même conclusion, à savoir que ni l’un ni l’autre ne pourrait faire comme si rien ne s’était passé. Maintenant qu’il y pensait, Akio se rendait bien compte qu’ils étaient allés peut-être un peu trop vite. Ils se connaissaient depuis un moment c’est vrai, ils avaient passé pas mal de temps ensemble, mais uniquement dans le cadre de leurs études, et jamais ils n’avaient montré un quelconque sentiment qui différait. Et puis, ils avaient trop bu, Akio avait été particulièrement chiant (même lui l’admettait volontiers), et puis… voilà. Boum, renversement de situation, on est tout amoureux tout d’un coup, on pige pas pourquoi et le pire c’est que c’était pas de la simulation. Ou alors ils étaient vraiment très bons acteurs.

« Dit comme ça, ça paraît simple. Et puis si t’as pas peur de te faire choper, bah… ça me va aussi. »

Akio se redressa lentement, jeta un coup d’œil en coin à son cousin, ne réussit pas à décrypter ce qui se passait vraiment derrière son masque de prince des glaces et il quitta la table, s’approchant de la serveuse d’un pas hésitant. Il frissonna devant le regard qu’elle lui lança, à moins que ce ne soit le froid, et il lui commanda deux autres cafés, pas perturbé par le fait que Yukimura n’avait pas fini le sien. Il déposa les pièces dans un petit bol alors que la nana lui tendait la main, emmerdeur jusqu’au bout, et attrapa les deux gobelets pour les poser quelques mètres plus loin sur leur table.
Même s’il avait compris que le poney ne le lâcherait pas comme ça, qu’il tenait un minimum à lui, et que tout ça lui faisait bien chaud au cœur, il n’arrivait pas à se débarrasser de sa gueule de suicidé fraichement déterré. La solution implicite que lui avait proposé son cousin lui convenait oui, mais il aurait préféré que tout soit plus simple. Il aurait aimé ne pas être de la même famille, être foutu comme une gonzesse, ou que l’homosexualité soit considérée comme normale, n’importe quoi qui aurait permis de leur éviter toute cette mascarade. Akio soupira à nouveau, passa le bout de son doigt sur son gobelet brûlant, et il releva les yeux après quelques minutes de silence.

« Bon alors c’est réglé. Vu que t’héberges Namie, j’pense que se voir chez moi est le plus raisonnable, et puis pour tout le reste du temps… bah voilà. Après tout, ce sera comme si on vivait loin l’un de l’autre. A la différence que je te croiserais à la fac. »

Akio se mordilla l’intérieur de sa joue, plissant ses lèvres dans une moue boudeuse, puis il croisa le regard de son cousin, souriant alors tristement. La conversation était close, et s’il n’avait pas envie de quitter son cousin tout de suite, il aurait bien aimé rentrer chez lui maintenant, histoire de pouvoir faire un peu le point. Un sentimental le Akio effectivement, c’était sûrement pour ça qu’il était aussi fasciné par la frigidité de Yukimura. Passant sa langue sur ses lèvres suite à une gorgée de café franchement chaude, il tapota du bout de ses doigts la table, avant de se redresser vivement, attrapant le poignet du poney.

« Problème réglé pour le moment non ? Comme tu dis, alea jacta est, donc haut les cœurs monsieur le médecineux, sinon j’vais être obligé de te traîner en boîte ou de te bourrer la gueule pour avoir un sourire. Et je suis sûr que tu détesterais ça. »

C’était pas très crédible comme mouvement de bonne humeur, mais l’intention y était et c’était ça qui comptait.

Yukimura dévisageait avec pas mal de doute et d’anxiété son cousin, qui paraissait trop calme pour être honnête, et surtout plein de quelque chose qui ressemblait à de l’hésitation, ce qui le stressait au plus haut point, il va sans dire. Chose qu’il arrivait à plutôt bien cacher, merci la frigidité habituelle qui lui permettait ça, et il était juste franchement pâle et faisait peut-être un peu une fixette malsaine sur son café vu de l’extérieur. Pour la vendeuse de sandwichs qui continuait à les observer en coin, le macaque était forcément en train de raconter ses histoires de cul les plus trash à son cousin, et la petite sensibilité du médecineux n’était manifestement pas calibrée pour supporter ça. (Si elle savait.)
Bref Yukimura parvint à se détendre en entendant Akio acquiescer et même parler d’éventuels plans pour se voir prochainement, esquissant un pâle sourire en coin, terminant son café à petites gorgées, un peu rasséréné. Il le suivit de son regard bleu-gris quand il se releva, et abandonna son café en se relevant, souriant toujours très légèrement.

« Je ne veux pas que tu me fasses boire, et encore moins que tu m’emmènes en boîte, par pitié. »

Effectivement, c’était pas vraiment le genre de trucs que faisait le poney quand il n’avait rien à faire. Enfin boire ça lui arrivait, quand il se sentait vraiment très seul chez lui en rentrant d’une dissection particulièrement dégueulasse, mais c’était pas pour autant qu’il avait l’habitude et qu’il tenait bien l’alcool. Ah et puis surtout c’était secret, et même Akio n’était pas au courant pour l’instant (forcément que plus tard il le saurait, il finissait toujours par tout savoir cette espèce de parasite). Toujours est-il qu’aujourd’hui, il n’avait pas spécialement envie de boire, et ferma son trench en jetant un coup d’œil automatique à sa montre.

« J’ai pas cours ce vendredi après-midi. T’es disponible, toi ? »

Et il camouflait très bien la gêne qu’il pouvait éprouver derrière ses longues mèches de cheveux et sa fidèle carapace de prince des glaces. A peine une rougeur sur les pommettes, trois fois rien qui pouvait s’expliquer facilement avec le froid qu’il venait de manger en pleine tronche en ouvrant la porte de la cafétéria. Il sortit une cigarette de son sac, l’allumant rapidement, et son regard revint se poser sur son maudit cousin (dans tous les sens du terme pour le coup).

« J’ai du travail, je pense que je vais rentrer … Pense à bosser aussi. »

Un léger sourire, et après un signe de main, Yukimura s’en alla dans un courant d’air presque aussi froid que ce qu’il voulait bien montrer. En réalité, c’était un tout petit peu la panique intérieurement, mais il pouvait se féliciter de savoir très bien se maîtriser.

Comme il s’y attendait, Yukimura avait clôt la discussion, et Akio avait suivi le mouvement. Il avait repoussé son café, ramassé les gobelets d’une main experte (on sentait l’entraînement) et les avait jeté dans la poubelle, sans un regard pour la serveuse qui, de toute évidence, était un peu déçue de les voir partir. Le macaque franchit la porte que lui maintenait son cousin, enfila son blouson avant de jeter son sac sur son épaule, et s’arrêta dans l’entrée, les yeux plissés. Il avait déjà oublié la première supplication de Yukimura, sachant qu’il n’avait pas du tout envie de foutre son cousin sur les rotules, surtout en le faisant boire, mais la question qui suivait méritait qu’il s’y arrête. Il avait cours vendredi, deux heures de socio en plein milieu de l’après-midi, mais il n’avait pas franchement envie d’y aller si le poney lui proposait qu’ils se voient. Il hésita un instant, quasi persuadé que s’il disait que oui il avait cours mais que oui il pouvait sécher, le poney lui dirait que c’était hors de question et que les études passaient d’abord. Aussi, il sourit légèrement, remonta la bretelle de son sac sur son épaule et mentit plutôt effrontément.

« Vendredi ça me va. Je t’appelle. »

Il regarda alors le poney partir, immobile devant l’entrée de la fac, continuant de sourire bêtement, ne relevant pas que lui aussi avait du boulot mais qu’il était à peu près persuadé qu’il serait incapable de bosser en rentrant chez lui. A tous les coups, il allait s’écrouler sur son canapé et passer quelques heures à regarder le plafond et à se repasser en boucle la scène de la cafet’ et les propos de son cousin. Ca c’était couru d’avance. Il s’éloigna un peu de la fac, posa ses fesses sur un banc humide et tira une clope de son sac, l’allumant d’une main un peu tremblante. Il s’insulta joyeusement, déclara que c’était le froid qui le faisait trembler et resta longtemps là, les genoux remontés contre sa poitrine.

Il se releva pas moins d’une heure plus tard, à moitié transi de froid, les joues toutes rouges et les mains violettes, mais profondément content. Sa journée avait très mal commencé, mais elle se terminait plutôt bien, et il se sentait tout à coup empli de bons sentiments et de gratitude pour le monde entier. Il hésita une seconde à téléphoner au poney, tira son portable de sa poche et le regarda de biais comme s’il lui faisait des clins d’œil, puis grimaça en imaginant le tête que ferait Yukimura. Il rit bêtement en le voyant l’engueuler parce qu’il ne bossait pas et risquait une jolie crève, hurlant qu’il l’empêchait de bosser et faisait exprès de l’inquiéter, et Akio soupira, un grand sourire au lèvres. Il finit quand même par plaquer le téléphone contre son oreille droite, soufflant sur le bout de ses doigts en même temps, et attendit avec impatience que son interlocuteur décroche. Il n’eut pas à attendre longtemps et une voix féminine lui répondit, celle de la fille qui l’avait interpellé à la sortie du cours d’ethno. Et pris d’une brusque impulsion de bonne humeur, il lui déclara qu’il avait changé d’avis et qu’ils ferraient bien le devoir ensemble.

« J’arrive. »

Comme quoi, y’avait rien de mieux qu’un poney pour foutre Akio de bonne humeur.