L'art d'être étrange en paraissant normal

Invité Jeu 24 Jan 2008, 2:09 am

Saignait-il ? Non. Était-il blessé à un quelconque endroit ? Non. Se sentait-il malade ? Non. Venait-il rendre visite à quelqu'un ? Non plus. Noda n'aimait pas les centres commerciaux, ni les fêtes foraines. Chaque lieu public était plus bruyant et plus populaire que le précédent. À la maison, sa mère était en plein ménage, comme à chaque mercredi. Le bruit de l'aspirateur l'empêchait de se concentrer, lui qui voulait lire le dernier numéro d'une bande dessinée méconnue dont il était le seul de sa classe à lire. Une histoire peu commune narrée sur des images colorées de bleu et de blanc uniquement dont le jeune Sôma était fan depuis sa découverte il y a de ça deux ou trois ans.

Ainsi, il était entré dans l'hôpital sans que personne ne le remarque. Les médecins étaient trop occupés à courir d'un patient à l'autre pour qu'un gamin de douze ans puisse leur prendre une seconde d'attention. Dans le hall, il n'avait eu qu'à se pencher un peu pour que sa tête ne dépasse pas la ligne du comptoir de la réceptionniste, empêchant cette dernière de remarquer sa présence. Dans l'ascenceur qui le menait au huitième étage, très peu de gens l'abordaient, et lorsque cela se produisait, Noda déballait l'histoire d'un accident tragique survenu dans sa famille, changeant les détails d'une fois à l'autre comme ça lui plaisait. Avec ça, il était assuré que le silence reviendrait bien assez tôt et qu'on ne trouverait pas son intrusion suspecte dans le centre hospitalier.

Avec le temps, au huitième étage, il s'était lié avec un vileil homme. Le mot était un peu fort, quand même. En réalité, à force de venir toujours au même endroit lire sur la même chaise entre une machine distributrice de boissons et une plante verte, un vieillard l'avait remarqué, et était venu lui parler. En bout de ligne, les deux individus semblaient s'être comprit puisqu'en échange d'une friandise à chaque visite, Noda s'était entendu pour discuter quinze minutes avec ce malade visiblement en proie à sa solitude. En même temps, ça lui assurait une excuse si jamais il se faisait prendre, prétextant un lien familial avec le vieil homme, mais cette posibilité lui paraîssait si maigre qu'il ne se tracassait même pas avec ce détail. Et puis Noda savait bien que ça ne durerait pas éternellement. Lui, il n'était encore qu'un enfant au collège alors que le vieillard était âgé et atteind d'une maladie mortelle incurable, ne sachant pas combien de temps il lui restait, mais certain que ce n'était pas beaucoup.

" Il n'est pas encore là, aujourd'hui... "

Noda venait d'arriver dans sa pièce préférée parmi tout l'hôpital. Le vieil homme, dont il n'avait jamais cherché à connaître le nom, devait probablement se reposer dans sa chambre. D'un pas machinal, le lapin gambada jusqu'à son siège et ouvrit son livre sur ses genoux, commençant avec hâte ce nouveau tome offert par son père suite à ses bons résultats scolaires. Il feuilleta la page deux, trois, quatre, et ce ne fut qu'à la cinquième qu'une ombre vint obscurcir les pages de son livre. Une silhouette venait de s'arrêter devant la machine distributrice. Comme la personne en question n'était pas arrivée en boitant de la jambe droite, Noda savait que ce n'était pas le vieux de la chambre 807, mais bien une personne comme une autre, totalement ordinaire, ou pas ? Comme il n'avait pas décollé son nez de sa bande dessinée, il avait usé de sa déduction habituelle qu'il réservait au monde entier, à l'exception de douze vies inestimables aux yeux du jeune garçon maudit.

* Passons à la page six... *

[Libre study

]